C’est l’histoire d’un ambitieux. Ou d’un descendant de maquignon de Châteldon (Puy-de-Dôme), qui souffrait peut-être de ce complexe de classe qui colle souvent aux destinées des parvenus. Né dans la limonade (en 1883), Pierre Laval, ce petit homme râblé, au teint trop mat pour son rang nouveau, avait fini en maître de château.
C’est l’histoire d’un besogneux qui a quitté son Auvergne natale et, au prix d’un travail acharné, a passé des diplômes, revêtu la robe d’avocat pour intégrer le barreau de Paris (1907). Puis gravi, encore et encore, les marches de la reconnaissance sociale : maire d’Aubervilliers (dès 1923) ; « socialiste indépendant » en rupture avec le parti depuis 1920?; député (dès 1914)?; plusieurs fois ministre à partir de 1925 ; deux fois président du Conseil avant 1940 (janvier 1931-février 1932, puis juin 1935-janvier 1936).
C’est l’histoire d’un politique, enfin, de cette catégorie d’homo politicus, pas si rare, qui n’hésite pas à se renier pour acquérir puis conserver le pouvoir. Quel qu’en soit le prix. Du déshonneur au massacre, selon le contexte du moment. Évincé par le Front populaire, écarté par Pétain en décembre 1940, Laval, le pacifiste, était revenu aux affaires, grâce à l’insistance des autorités du Reich et sur un créneau porteur : la collaboration avec l’Allemagne. À Vichy, lui, le fils du cafetier d’un bourg voisin, était redevenu, en avril 1942, aux côtés d’un vieillard d’apparat, le chef du gouvernement d’un nouvel « État français ».
C’est l’histoire d’un homme qui avait souhaité la victoire de l’Allemagne parce qu’elle seule, fut-elle nazie jusqu’à la lie, était capable d’être un rempart contre ce bolchevisme exécré. Et puis n’avait-il pas loué, lors du 10e anniversaire de l’avènement de Hitler, « ce parti qui s’impose au peuple par les réformes hardies qu’il préconise et la valeur de ses chefs, surtout ».
C’est l’histoire d’un homme qui adorait les chiens. Et un peu moins les enfants. Enfin, les enfants juifs pour le funeste sort desquels il avait devancé les attentes de l’occupant en lui proposant de déporter les moins de 16 ans avec ou sans leurs parents.
C’est l’histoire d’un homme de presse qui avait acheté, en 1927, à Clermont-Ferrand, Le Moniteur, le concurrent direct de La Montagne, le quotidien des gauches, dirigé par son ancien camarade de parti et confrère, Alexandre Varenne. Varenne qui, pour ne plus subir la censure de son gouvernement, avait fini par saborder son journal et taclé « ce vieux grippe-sou de Pierrot qui ne finit pas de s’enfoncer chaque jour un peu plus dans la honte ».
C’est une histoire qui a pris fin le 15 octobre 1945. Celle d’un condamné à mort, par la Haute Cour de justice, et exécuté, il y a 70 ans aujourd’hui, dans la cour de la prison de Fresnes. Abasourdi à la fois par un procès à la va-vite, où la haine avait tenu lieu de droit, et par l’absorption d’un poison éventé, le collaborateur en chef était passé au peloton sans avoir été entendu. Il avait néanmoins pu dégainer une phrase assassine : « […] Ceux qui prétendent me juger aujourd’hui étaient tous aux ordres de Vichy à l’époque des faits qui me sont reprochés ».
C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué avec… l’histoire. L’histoire d’un homme infidèle, victime de son ego et administratif bourreau de l’humanité. Un homme pourtant reconnu comme intellectuellement brillant et qui, dans son bref exil de Sigmaringen – là où Céline avait rendu visite à « Laval le conciliateur » – avait déclaré : « La politique n’est pas mauvaise?; ce sont les hommes qui le sont. »